dimanche 13 novembre 2016

Mad Max Fury road : Le Grand coffre à jouets déglingués




« Politique ce dernier Mad Max ! » C’est comme ça qu’on ma l’a vendu. « Tiens, les précédents ne l’étaient pas ? » me disais-je. Visiblement non lorsque je lisais les articles qui empilaient les épithètes politisés en parlant tour à tour de film féministe (wtf !?) ou anticapitaliste (wtf !?). J’avais même pu lire des articles annonçant un Mad Max de gauche (pitié non !) ou une allégorie sur la montée en puissance de Daesh. C’est tout l’intérêt du politique dans un film comme Mad Max fury road . Le film est effectivement politique mais dans la limite des stocks disponibles. Et de quels stocks parlons-nous ? Ceux de notre imagination. Car si le dernier long-métrage de George Miller a sa place sur le blog de votre serviteur, c’est bien parce qu’il travail deux matériaux, le cinéma et l’imaginaire. C’est d’ailleurs ce que me confirment mon entourage et les internautes qui n’ont pas apprécié la dernière aventure de Mad Max (les fous !), jugeant que l’aspect politique du film est décevant et exagéré. Il n’est pas rare que ces réactions émanent de personnes soucieuses de proposer des contre exemples de films de science-fiction politiques comme Les Fils de l’homme, Bienvenue à Gattaca ou Elysium. Un grand étonnement apparaît alors chez moi, tant je trouve que ces derniers films peinent à être des œuvres réellement politiques, dans la mesure où bien souvent elles oublient d’être des films.



Mad Max fury road, film au propos politique ou film apolitique ? Aucune des propositions énoncées ne me conviennent. D’abord car la première qualifie le politique chez Mad Max comme relevant du discours. Or pour moi le politique du film de Miller est une alternative au discours et opère, comme le film divertissant qu’il est, par le ludique. Quel plaisir avons-nous à regarder les bolides de Fury Road ? Ces derniers sont fabriqués, ou plutôt reconstitués, à partir de carcasses de véhicules divers et hétérogènes : un aileron de Porsche sur un arrière de pick-up, surélevés par des roues de camion. Avec ses chimères mécaniques, Mad Max nous fait jouer aux legos, dans un exercice de déconstruction/reconstruction. Cela ne vaudrait-il pas le coup d’envisager le politique de Fury road sous cet angle ? Comme pour ses voitures, Miller met en scène les évidences, les symboles politiques, comme autant de références qui nous rappellent ce qui a été. Il opère des remontages alliant société marchande, collectivisme, impérialisme et culture alternative dans un esprit de dévoiement et non de cohérence. Par exemple, le water-cola, eau pure marchandée au mérite, évoque autant le capitalisme américain que sa contestation, sans pour autant que nous puissions déterminer laquelle de ces deux idéologies détourne l’autre.

Ce mode de construction du monde post-apocalyptique de Mad Max est confirmé par le choix d’axer le film sur l’action, trouvant son point culminant dans cette mythique course poursuite, dans laquelle une civilisation roulante se lance à la poursuite d’un seul véhicule. Les poursuivants possèdent des voitures guerrières, des voitures divertissantes (le char du guitariste lance-flamme), des voitures politiques (le véhicule du leader Immortan Joe) etc… Plutôt qu’à l’élaboration d’un discours, nous assistons à une parade monstrueuse, digne d’un cirque mobile, où tout se mélange, à l’instar du look des assaillants, tantôt punks militarisés, tantôt skinhead chétifs. En choisissant de récupérer des symboles, Miller opère un véritable travail de simplification. Par simplification, je n’entends pas que le cinéaste a lu Castoriadis ou Engels et a décidé de simplifier une pensée élaborée pour son public. Je pense plutôt que le cinéma de l’imaginaire a un don tout particulier pour puiser dans des phénomènes de simplification qu’opère déjà le politique. Des migrants arrivent, fermons les frontières ou ouvrons les frontières. Frontières fermées ou frontières ouvertes ? Voici le scénario d’un épisode (voire d’une saison) de Walking Dead.


Par ailleurs, la simplification opérée par Miller ne relève pas du compréhensible mais du préhensible. Rendre les symboles politiques manipulables, sujets aux détournements, permet alors à notre imagination d’élaborer, comme avec les pièces d’un jeu de construction, les montages les plus complexes et les plus aberrants. C’est dans cet exercice interactif de déconstruction/reconstruction que Mad Max fury road trouve son salut, qui d’ailleurs ratisse bien large. Il serait en effet bien dommage, comme l’affirme certains articles, voyant le film comme une parabole de gauche, de limiter Mad Max à un univers décliniste soucieux de dénoncer les dérives du capitalisme. C’est l’idée de progrès dans son ensemble qui est égratignée par le carnaval de George Miller, qu’elle soit rationalisée par la société marchande ou par l’utopie socialiste. Le monde post-apocalyptique de Mad Max n’est qu’un ricochet d’un phénomène touchant toute la science-fiction.

A ce titre, Mad Max naît dans la distance qui éloigne les vaisseaux propres et accueillants de Star Trek, série se déroulant dans monde ou la connaissance a remplacé l’argent et où les membres de l’équipage appartiennent à une élite ( L’Homme survit à l’Homme est le titre du premier épisode), aux vaisseaux de Alien ou de la série The Expanse. Ces derniers sont sales, leur air est pollué, leur rations limitées, rappelant à l’équipage qu’ils sont de trop et que très peu pourront y survivre. Imaginez l’ingénieur en chef d’un vaisseau spatial de ce type : « Mettez-moi des câbles qui dépassent, les portes en acier oxydable et des couloirs très étroits, comme ça, en cas d’invasion, les gens vont s’entasser dedans et ça sera très angoissant. » La construction du vaisseau spatial répond aux fantasmes d’aujourd’hui que nous plaquons sur les oripeaux du monde de demain. Ainsi, Alien, comme Mad Max, nous rappelle une gueule de bois de l’idée de progrès et notre difficulté à vouloir le meilleur pour tous, alors que notre imaginaire ne parvient plus à donner de la valeur à ce qui n’est pas rare. Si vous trouvez que les propos technophobes se concentrent plus sur les jeux vidéo que sur la conquête de l’espace, envoyez des collégiens, des smicards et des chômeurs sur Mars et vous verrez les belles tribunes dans les journaux. « Ah, ces jeunes qui préfèrent l’apesanteur à Proust ! »



Alors bien sûr, c’est là qu’intervient la proposition d’apolitisme d’un film comme Mad Max fury road. Puisque le film récupère tout, détourne tout, pour qui roulent les bolides de Mad Max ? Peut-on encore parler de film critique alors qu’il emploie les moyens de ce qu’il dénonce ? N’est-ce pas par le spectacle s’impose le progrès désorganisé destructeur d’humanité ? Tout à fait. Mais, comme énoncé plus haut, je prends fury road comme un film ludique, et non comme un film dénonciateur. Je ne pense d’ailleurs pas que les gens qui trouvent Mad Max apolitique sous-estiment le film. Ils le prennent absolument pour ce qu’il est : un divertissement. Mad Max ne produit pas de morale, il produit des suites, des remakes, des sous-genres, des variations, un monde imaginaire sans fin. En revanche, c’est tout le reste qu’ils surestiment.

Puisque nous parlons ludisme et jouets de construction, comparons les jouets d’un enfant, qui joue à la dînette avec Big Jim et donne la mitraillette de Big Jim à Barbie (Imperator Furiosa ?), et les jouets de son papa, maquettiste et collectionneur. Le papa a sur ses étagères les figurines officielles de la présidentielle américaine 2016. Il possède la figurine de Femme, de Mâle Blanc dominateur et de Mâle issu d’une minorité. L’enfant voyant ces figurines dit à son papa « Laisse-moi t’emprunter tes figurines, une femme, un mâle blanc et un mâle issu d’une minorité ethnique…Si je les mets tous les trois dans une maison entourée de zombies, je te refais La Nuit des mort-vivants de Romero ! » Mais que répondra le papa ? « Ah non surtout pas ! C’est pas fait pour jouer avec. C’est fait pour être exposé car il s’agit de pièces élaborées, finies, conçues par des gens compétents. Et surtout, surtout… C’est fragile ! Si je te les prête, tu vas donner le badge NRA du mâle blanc à la femme et mettre la robe de la femme au mâle de couleur ! Hors de questions ! » Effectivement, quand on emprunte des idées pour jouer avec, c’est comme avec les jouets, on ne les rend pas exactement dans l’état où on les a prises.



L’imaginaire politique est comme les jouets de collection de ce papa, il a de la valeur tant qu’on y touche pas. Dès qu’on le manipule c’est tout autre chose. Un film comme Mad Max fury road joue ainsi un double jeu avec le politique. Il le valorise en démontrant la persistance de ses symboles, même après l’apocalypse nucléaire, mais il en montre aussi toute leur vacuité à travers un jeu de détournement. Et si nous prenions le problème à rebours et considérions l’univers de Mad Max comme le révélateur de la manière dont le politique essaie de s’approprier nos imaginaires ? Par exemple, beaucoup on voulu voir dans le personnage de Furiosa un avatar du féminisme, car renversant les rapports homme/femme. En revanche très peu on vu le renversement de rapport malade/valide opéré par Miller (ancien médecin), puisque le film parle de la rationalisation économique des corps sains, réalisée par une société de mutants handicapés infectés de tumeurs. La question de la santé et du handicap est-elle moins politique que celle du genre ? J’ai déjà été bénévole aux accueils de quelques concerts. Jamais on ne m’a demandé d’effectuer un tri des personnes en fonction de leur couleur ou de leur sexe. En revanche, pour ce qui était des fauteuils roulants... Politique oui ! Mais dans la limite des stocks disponibles disais-je, car il arrive souvent que le cinéma ait bien plus d’imagination que le discours idéologique.

Alors pour qui roule Mad Max ? Pour le cinéma et l’imaginaire, qui permettent un accès au politique qui leur est propre et qui, plutôt que de relayer un discours, préfère l’éprouver. Je ne peux m’empêcher de trouver sain l’acte de vouloir mettre des fantasmes dans des fictions à une époque où tant de personnes souhaitent mettre leurs fantasmes dans les urnes. Je continue de penser qu’il est dommage que l’élection de Trump se soit déroulée dans la vraie vie. Elle aurait (quoiqu’en fait elle a déjà) donné de passionnants récits.

P.S Je vous quitte en vous conseillant un autre coffre à jouets, le blog de La Malle de Manji, dont l’article sur Judge Dredd m’a tant fait plaisir. Pour tous les passionnés de jouets et de figurines :
http://lamalledemanji.blogspot.fr/