J’ouvre les hostilités par un film indé et adepte de la
théorie des genres, puisqu’il en mélange ici deux, western et horreur. Le
musicien S.Craig Zhaler, après avoir signé le scénario du très recommandable The
Incident (A.K.A Asylum Blackout), signe sa première mise en scène avec
cette hydre à deux têtes qu’est Bone Tomahawk, à la fois western bavard
et satirique et survival gore et cruel. En effet, si le développement du film
emprunte la voie de la patience et de la digression, c’est pour mieux nous
asséner son dénouement brutal. A ce titre, ami lecteur, gare aux spoilers car
je vais (presque) tout te raconter.
L’histoire se déroule dans la dernière décennie du XIXe
siècle, entre le Texas et le Nouveau Mexique, dans la petite ville de Bright
Hope. Là, deux héros s’y disputent un même steak. Tout d’abord il y a la figure
locale Arthur O'Dwyer (Patrick Wilson), cowboy émérite et charismatique, bien
aimé de ses concitoyens, mais cloué au lit par une fracture à la jambe. Soigné
par sa femme Samantha (Lili Simmons), également médecin de Bright Hope, Arthur
est avant tout frustré de ne pouvoir quitter son lit et d’être dépendant des
anti-douleurs. Vient ensuite, le tough guy inter fédéral John Brooder (Mathew
Fox), dont la réputation de tireur au sang chaud précède une élégance et une
arrogance morbides, héritées d’une période qui valorisait n’importe quel Blanc
illettré tirant sur un Indien comme l’incarnation de la civilisation la plus
raffinée. Et des indiens, il en a tué des tas Brooder. C’est vous dire l’idée
qu’il a de lui-même ! (Et peut-être, mais c’est plus ambigu, c’est vous
dire son étonnement d’être resté vieux garçon, contrairement à Arthur)
Mais que serait un western sans son shérif ? C’est là
qu’intervient Franklin Hunt (Kurt Russel), représentant vieillissant de la loi,
qu’il applique tout en nuance. Résolument old school dans ses valeurs, Hunt
n’est pas une brute pour autant. Homme d’action, il attache une grande
importance à la prudence et à la rationalité, contrairement à une tête brûlée
comme Brooder. Et c’est tant mieux, car il faut de la patience et une bonne
dose de compréhension pour supporter son adjoint, Chicory (Richard Jenkins),
veuf incompétent et naïf, incapable de prendre soin de lui depuis le décès de
sa femme et dont l’âge avancé peine à dissimulé la psychologie d’un enfant de 8
ans. Débordant d’admiration pour les nombreuses figures de l’Ouest qu’il
côtoie, Chicory semble s’émerveiller du moindre exploit ou de la moindre
rumeur, comme si le biographe d’English Bob dans Impitoyable rencontrait
le geek qui croise Leonard Nimoy pour la première fois au Comic Con. Sa
présence auprès du shérif Hunt semble alors plus justifiée par sa bonne
compagnie que par sa réelle utilité. Ce qui n’en fait pas moins un personnage
clé du film.
L’intrigue débute lorsqu’un mystérieux groupe d’Indiens
troglodytes et anthropophages kidnappent dans sa cellule le bandit et pilleur
de tombes Purvis (David Arquette),
emportant avec eux l’un des adjoints du shérif Hunt, le jeune Nick (Evan
Jonigkeit), et la femme de Athur O’Dwyer, Samantha. Hunt et
Chicory vont alors se lancer à la rescousse des trois disparus, accompagnés
d’un Brooder soucieux de sa réputation et d’un
Athur O’Dwyer boiteux et mort d’inquiétude pour sa femme.
Or cette chevauchée n’a rien de fantastique tant elle
s’amuse à prendre ses distances avec le patron héroïque du genre. Tout d’abord
l’ennui. Celui, que provoque un long voyage à cheval dans des paysages
désertiques, mais aussi celui provoqué par des heures de palabres inutiles,
coincé entre les inepties d’un Chicory toujours en décalage avec la réalité et
les leçons de morale du vantard John Brooder. Puis vient le ralentissement provoqué
par l’handicapante fracture d’Athur. Celui qui devait être la référence en
termes d’action et d’éthique devient un poids mort pour le groupe. Poids dont
Brooder ne cesse de rappeler la nécessité de se délester et ce, non sans
arrière pensée. En effet, ce dernier, qui méprise pourtant les hommes mariés,
exprime une obsession ambiguë quant à l’idée de secourir Samantha avant son
mari.
Troisième calamité, la violence. Mais pas celle d’une
confrontation franche et égalitaire entre hommes armés. Plutôt celle d’une
exécution raciste, lorsque Brooder abat froidement un Mexicain qu’il désigne
sans preuve comme un voleur de chevaux. Enfin, les confessions embarrassantes,
lorsque, après avoir laissé Arthur derrière eux, Hunt et Chicory écoutent
stupéfaits Brooder leur expliquer, non sans recours à une habile litote, que
les indiens qu’il a tués étaient majoritairement composés de femmes et
d’enfants. Cela dit, ils n’en étaient pas moins dangereux selon leur bourreau,
car tous disposés naturellement par le bellicisme de leur race à saisir une
lance au moindre dos tourné.
Le verni héroïque du western alors se craquelle. Les
fissures deviennent des gouffres dont le vide appelle une autre esthétique pour
consolider la narration. C’est là qu’intervient l’ironie du film d’horreur, qui
va ajouter à la déconstruction du mythe du cowboy, la déconstruction des corps,
comme la formalisation par le gore d’un travail de sape sous forme de tarte à
la crème sanglante.
En effet, le cinéma d’horreur moderne auquel se réfère Zhaler
procède comme une mauvaise blague. A ce titre, nous en connaissons bien le
fonctionnement. Une adolescente veut que son bal de promo soit une question de
vie ou de mort ? Pas de problèmes. Collons-lui un tueur en série dans les
pattes, elle aura tout le loisir de réévaluer ses priorités. C’est là toute la
saveur du récit horrifique qui, s’il est tout à fait apte à bouleverser les
habitudes de nos vies, l’est tout autant pour bousculer celles du cinéma et de
ses genres les plus mythiques. Brooder veut des indiens sauvages et
dangereux ? D’accord. Mais attention quand on fait un vœu au génie du
cinéma ! Car la tribu indienne antagoniste de Bone Tomahawk n’est pas de celle
qu’on endort avec un traité de paix et du whisky.
C’est donc par la question de la prédation que le postulat
horrifique du film va renouveler l’évocation du western, en déplaçant le rôle
du cowboy dans la chaîne alimentaire du cinéma. Du statut d’hommes d’action,
nos héros vont régresser au statut de proies et apprendre leur leçon à coup de
flèches et de coutelas.
Véritables hommes des cavernes, les indiens troglodytes de
Bone Tomahawk ont vue Green Inferno d’Eli Roth et se sont bien marrés.
Assurant leur domination sur leurs ennemis par le scalp et la castration des
hommes et par le viol et la mutilation des femmes, ces derniers vont s’acharner
sur Hunt et sa bande, et faire du shérif et de son adjoint Chicory leurs
prisonniers. Enfermés dans une caverne des horreurs, nos deux comparses vont y
retrouver Samantha, dépitée de constater un si piètre secours : « Voilà
pourquoi la vie à la frontière est si dure. Non pas à cause des indiens ou des
éléments. Mais bien à cause des idiots. » Les masques sont tombés
et la sentence aussi. Les sept mercenaires ont laissé place aux quatre idiots
de Bone Tomahawk, pensant qu’il suffisait de suivre les pas laissés par
les légendes de l’Ouest pour délivrer leurs concitoyens d’un petit groupe
d’indiens, dans un pays qu’ils semblent ne toujours pas connaître.
Leur survie ne tiendra qu’à l’intervention in extremis du boiteux Arthur, faisant
irruption dans la grotte arme à la main, puis au sacrifice du shérif Hunt qui,
gravement blessé, consent à couvrir leurs arrières un fusil calé sous l’épaule.
Sa posture de combat est alors préparée soigneusement par ses compagnons
d’infortune, comme on prépare un héros à la postérité. Nos survivants quittent
alors la grotte. C’est alors qu’ils marchent péniblement à l’air libre, qu’un
coup de feu retenti. Chicory se retourne, des étoiles dans les yeux, imaginant
le combat héroïque de son ami. A ce titre, le choix d’avoir fait de Chicory un
personnage âgé est plus que pertinent, car quel coup de vieux il a pris ce
regard d’enfant !
En effet, si le western, à travers les œuvres de Ford,
Peckinpah et Eastwood, s’est efforcé de filmer le vieillissement de ses héros, Bone
Tomahawk a su saisir par cette scène le vieillissement du regard qu’on leur
porte. Comment faire un western aujourd’hui, alors que cinéastes et spectateurs
savent que derrière un duel mythique, il y a avant tout deux Irlandais ivres,
dont le motif de la discorde n’a pas survécu à la gueule de bois du
lendemain ? Comment faire de la conquête de l’Ouest un imaginaire à l’ère
de wikipedia ? Et surtout comment réinvestir un genre déjà déconstruit par
ses meilleurs auteurs (n’oubliez pas qui a tué Liberty Valance) ? En
voulant mythifier la civilisation affrontant la sauvagerie, le western s’est
détourné de son chemin et a souvent mythifier (consciemment ou inconsciemment,
c’est tout le débat) la sauvagerie de la civilisation. Alors pourquoi le cowboy
fascine-t-il toujours autant ? Peut-être, pour reprendre les mots de
Samantha, parce qu’il continue d’être aimé par des idiots.
Un très bon article, fort bien écrit, qui fait la lumière (et le sens) sur une très bonne série B dont le propos et l'exécution mouchent pas mal d'auteurs reconnus.
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