dimanche 30 avril 2017

Comancheria : Du Far West au Deep West



Comancheria est pour moi l’occasion de parler de western. Pour moi ? Pas seulement. J’ai découvert le film en salle, à sa sortie. Je scrutais les affichettes de l’entrée du CGR lorsque l’une d’entre elles m’a interpelé. L’affiche de Comancheria laissait présager un polar rural américain se déroulant à notre époque, mais la section genre affichait la mention « western ». Est-ce que la mention « wu xia pian » apparaît sur les fiches descriptives IMDB des polars de John Woo ? Non. D’ailleurs, si c’était le cas, le public demanderait certainement une petite mise au point, qu’il serait néanmoins facile de faire. Qu’est-ce qu’il y a de si conquêtedelouestement évident pour que le service communication d’une société comme CGR, à la cinéphilie discrète, décide de classer un polar comme Comancheria parmi les westerns ? Les codes du western survivent-ils si bien aux anachronismes ? 

J’ai ouvert ce blog dans le but d’écrire sur des films qui suscitent un imaginaire. Il y a pour moi le film et son legs, un monde fantasmé que le spectateur geek et chic sait s’approprier, problématiser et retravailler lors de ses propres créations (fan fictions, partie de jeu de rôle, fan film etc…). C’est par exemple, parce que le cow-boy disparait au soleil couchant qu’il n’en finit pas de revenir dans nos fictions. Aussi j’ai souvent considéré que dans un bon film, le vrai film commence à la fin. C’est pourquoi je vous propose de remonter la rivière à contre-courant et de découvrir Comancheria par son plan final.

Le film est écrit par Taylor Sheridan, scénariste (Sicario c’était lui) et acteur (le personnage de David Hale dans Sons of Anarchy, c’était lui). Sa mise en scène est signée par le cinéaste indépendant David Mackenzie. L’histoire est celle de la traque des frères Howard (Chris Pine et Ben Foster), braqueurs en quête de revanche, par le texas ranger Marcus Hamilton (Jeff Bridges) et son acolyte placide et indien, Alberto Parker (Gil Birmingham). Elle se finit mal. Ou plutôt, elle ne se finit pas. Le ranger Alberto Parker est tué par l’aîné des frères Howard, Tanner, qui est lui-même abattu par Hamilton. Chacun des deux survivants n’a eu qu’une brève ellipse pour se reconstruire, signifiant que le deuil n’est pas passé. Hamilton se rend donc chez le cadet Toby Howard pour régler ses comptes. Ce dernier a racheté la propriété de ses parents avec l’argent des braquages et en exploite les sous-sols, gorgés d’or noir. C’est colt à la ceinture et fusil en mains que les deux hommes se confrontent. Ca tire ? Non. Ca se menace, ça partage sa peine, sa colère, sa perte d’un proche, son sentiment qu’on va bientôt disparaître à son tour, sa vision d’un monde puant. Et puis ça se quitte et ça se donne rendez-vous. Pour en finir par un bon vieux duel ? Peut-être. Pour reporter l’affrontement une fois de plus ? Peut-être aussi. Alors pourquoi une telle fin qui n’en est pas vraiment une ? Le clou du western, c’est le duel non ?

A ce propos que nous montre le plan final ? Un mouvement de grue montrant la voiture d’Hamilton disparaissant dans le paysage par un magnifique plan d’ensemble, pour finalement déposer la caméra parmi les hautes herbes, mouchetées par la lumière du soleil. Exit les terres américaines à perte de vue. Exit l’horizon. C’est à cette conclusion au ras du sol qu’il faut nous remettre. Or l’utilisation des vastes étendues de l’ouest a toujours été un motif récurent du western. Le cow-boy disparaissant dans l’immensité du paysage sauvage américain, regagne un imaginaire de l’ouest plus grand encore que le film lui-même. 


Il m’apparaît cependant réducteur de n’envisager l’utilisation des grands espaces américains dans les westerns uniquement comme simple métaphore d’un monde imaginaire  N’oublions pas que la naissance du mythe du cow-boy est contemporaine au cow-boy lui-même. Les nouvelles d’aventures, de terres inexplorées ont accompagné la construction de l’Amérique et son esprit pionnier, soucieux d’imposer son mode de vie et paradoxalement avide d’exotisme. Cette vision de l’aventure est-elle encore possible aujourd’hui ? Il fut un temps où le monde lui-même était fait d’incertitudes et d’imaginaires. Repensons à littérature d’aventure d’Edgar Rice Burroughs et de ses cités fantastiques, perdues en plein cœur de l’Afrique. Quelle part d’inconnu reste-t-il aujourd’hui à l’Afrique et au monde entier ? Peut-on encore faire saliver les lecteurs avec un roman leur faisant découvrir le monde en 80 jours, alors que le Dalaï Lama peut en spoiler la fin sur twitter depuis son monastère himalayen ? Le monde est conquis, colonisé puis décolonisé, mondialisé puis atomisé. La culture américaine, que l’on pointe souvent du doigt concernant cette mondialisation, est pourtant également concernée par l’assèchement de ce puit à imaginaire. Le cinéma américain est ainsi passé du cow-boy, explorateur des hautes plaines de l’ouest des films de Ford et Hawks, au taxi, tournant en rond dans l’immensité urbaine du Taxi Driver de Scorcese.

Fini les tribus indiennes nomades, les cannibales, les mines d’or, les cartes révélant des endroits secrets etc… Vouloir conserver l’esprit pulp des récits western, en associant son imaginaire à une géographie fantasmée, appartient plutôt à une démarche maniériste vintage qui ne semble pas être le projet de Comancheria. En effet, le film s’engage dans une écriture qui rappelle le ton des films de Clint Eastwood, de John Sayles ou de Michael Mann et non ceux de Quentin Tarantino ou Steven Speilberg. En outre, le genre du western a su déjà s’affranchir très tôt de cet esprit pulp et aventurier. Un film « irish cow-boy » comme La Prisonnière du désert ne nous enseigne-t-il pas que la quête et l’exploration peuvent se vivre comme une forme d’errance ? Après tout, on peut voir les paysages des westerns autrement que comme de simples espaces géographiques. On peut aussi les voir comme un paysage intérieur qui reflète la part de vide et d’incertitude du cow-boy. En ce sens, le dernier plan de Comancheria nous révèle que derrière le monde physique, il y a aussi le paysage des idées, dont la multitude fait écho aux herbes hautes qui obstruent l’écran, et dont la survivance permet au genre du western de trouver sa place au sein d’un polar contemporain comme Comancheria. On peut alors penser que l’imaginaire du western n’est pas seulement lié à un Far West. Il est également lié à un Deep West, vestige enterré sous les apparences, qu’il nous suffirait de mettre jour en creusant.


Creuser, c’est justement le but du personnage de Toby Howard, se lançant dans une déviante conquête, ou plutôt reconquête, des terres familiales qui lui ont été volées par sa banque. Re-pionnier donc le Toby ! Son parcours jusqu’alors inexploré, il le trouvera à travers le paysage des procédures bancaires et fiscales d’un système hostile comme le désert du Nevada. A la fin du film, nous ne laissons pas ce cow-boy s’enfoncer dans les paysages du grand ouest, mais dans le grand sous-sol américain et ses réserves de pétrole. Du coup un autre paysage surgit également. Désertique mais pas américain. Dans l’Amérique du XXIeme siècle, le « go west » a été remplacé par « go middle east » et tous les fantasmes qu’engendrent les conflits au Proche Orient et la conquête des ressources pétrolières. « Trois tours en Irak » nous dit un graffiti lors du premier plan du film. Le personnage de Tanner Howard aurait très bien pu en être l’auteur, alors qu’en plein milieu du film, il se réveille par une crise de P.T.S.D (syndrome de stress post traumatique), rappelant le mal dont souffrent les anciens soldats. Sa reconquête à lui est celle de lui-même et de son honneur. « Quelle est cette violence en moi ? A-t-elle un nom ? » A priori non, mais Tanner va se charger de lui en trouver un.

Dans sa version originale, le film s’intitule  Hell or High water, ce qui dans l’anglais courant pourrait se traduire par « quoiqu’il advienne ». Dans sa version française, le titre Comancheria fait référence au nom que portaient le Nouveau Mexique et le Texas de l’ouest où le film se déroule. Anciennement dominée par les Comanches, ces derniers perdirent le contrôle de la région suite à une double guerre les opposant aux Mexicains et aux Américains. Ce choix de titre interpelle par le fait qu’à de nombreuses reprises le personnage de Tanner s’identifie aux Comanches. Ces passages durant lesquels il se fantasme en Indien interviennent pour la plupart à des moments guerriers, après le braquage d’une banque, lors d’une confrontation dans un casino ou dans un baroud d’honneur fusil au poing. « Un seigneur de la prairie. C’est ce que je suis. » Au cours de l’intrigue, le sens du mot Comanche lui est d’ailleurs révélé : « Ennemi pour toujours ». Ces prairies comanches sont celles de son âme, anciennement guerrière, désormais déchue après un long séjour en prison.

Les références à la culture indienne sont également présentes à travers le duo formé par les deux texas rangers Marcus Hamilton et Alberto Parker. Proche de la retraite, le personnage de Marcus se voit bientôt disparaître, lui, ses blagues racistes et ses piètres qualités de tireur. Il angoisse à l’idée de laisser seul son coéquipier. Qui survivra à Marcus Hamilton ? Un ranger indien, parfaitement intégré dans son travail, passé à la cigarette électronique, à l’aise avec les nouvelles armes de guerre et grand connaisseur des programmes télé locaux ! Avec humour, le film nous révèle ce qui a toujours été l’ironie du western : des blancs racistes et dominateurs qui s’envisagent comme les derniers des Mohicans. Combien de fois a-t-on eu envie de traverser l’écran lors du visionnage d’un western, pour rappeler à l’un de ces héros irlandais  chapeautés que ce n’est pas lui qui est en train de disparaître en ce moment, mais les indiens qu’il s’en ira tuer à la fin du film. Cependant, la couleur de la peau est une chose, le comportement en est une autre. S’il faut bien se dire un truc sur ces cons de cow-boys, c’est que pour des parangons de civilisation évangélique, ils sont souvent bien pressés de chevaucher hors de la ville pour pister les traces de pas et manger du serpent autour d’un bon feu de camp. Le premier des gentlemen ne serait-il pas au fond le dernier des sauvages ? C’est d’ailleurs Marcus, et non Alberto, qui préfère à deux reprises dans le film dormir à la belle étoile.

Quelle-est donc cette identité américaine que semble porter la survivance de la figure du cow-boy ? Pour le savoir il nous faut creuser. Car sous les sols des fermes et sous le goudron des villes se trouvent les plaines et l’horizon. Avec au bout la civilisation ? Le sauvage ? Le bien ? Le mal ? Le cow-boy ? L’indien ? Ou simplement l’éternelle affrontement de tout et son contraire, car comme le souligne ce duel en suspens qui conclut Comancheria, dans les westerns l’identité américaine s’explore à travers les confrontations et leur absence de résolution morale. D’ailleurs, il en pense quoi le mec qui a abattu Liberty Valence ? Souvent, le cinéma américain nous rappelle que les conflits qui ont animé la conquête de l’ouest n’ont jamais réellement trouvé d’issus. Ils se sont endormis au ronflement des machines à vapeur et de l’industrialisation du pays. Il suffit juste d’un bon film pour les réveiller et faire sonner la poudre. Après tout ça veut dire ça Comanche : ennemi pour toujours.

1 commentaire:

  1. Putain c'est brillant mec, c'est brillant. Cette idée que l'imaginaire s'épuise, comme le pétrole... Comme une "décroissance" de l'imaginaire américain. Hell or high water est vraiment un film d'une intelligence rare, pleinement conscient de son sujet. C'est ce qu'on comprend, tout au long de cette article : cet épuisement, ce fond de paquet de céréale qu'est devenu le mythe de la conquête de l'ouest, ce n'est pas sa fin. C'est, le temps d'un film, la condition exacte de sa résurgence. Sec, nerveux, humble et en même temps putain de flamboyant. Merci encore de m'avoir conseillé ce film. Un de plus.
    PS: T'as quand même réussi à caser John Woo, et avec pertinence !

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