Une fois n’est pas coutume, nous parlons série. Un série qui
d’ailleurs, m’a été racontée avant que je ne la vois. Handmaid’s tale raconte
l’histoire d’une femme prisonnière de sa condition de reproductrice dans une
dystopie made in USA. Le monde décrit est celui d’une civilisation ayant
survécu à une catastrophe écologique, ayant entraîné une épidémie de stérilité
chez les femmes. Les Etats-Unis sont alors gouvernés par une junte s’octroyant
les rares terres habitables du pays et envoyant ses rebus dans « les
colonies », lieux inhospitaliers où l’espérance de vie est très limitée.
Parmi les privilégiés à la tête de cet état , les femmes sont divisées en trois
castes : les épouses, qui servent de figures
stables et autoritaires au foyer ; les marthas, domestiques auxquelles
reviennent les tâches ménagères ; enfin les servantes, femmes supposées
fertiles, dédiées à la reproduction des élites.
La série m’a été vendue par la presse comme dénonciation de
l’Amérique de Trump. Entendez par là une dénonciation de l’Amérique tout court,
en ce sens que c’est l’Amérique telle qu’elle est qui a permis Trump. Le série
devait dénoncer le retour à la religion, la misogynie de la société américaine,
la chosification du corps de la femme par une société de la puissance et de la
domination masculine blanche anglo-saxone. Du coup j’ai regardé Handmaid’s tale
et je n’y pas trouvé les mêmes choses.
Dans le premier épisode, parmi les opposants politiques
pendus, l’héroïne pose son regard sur le cadavre d’un prêtre. La destruction
des églises est d’ailleurs un motif récurrent au fil des épisodes, qui
participe à nous faire vivre la montée du totalitarisme. Aussi, s’il y a bien
un rôle prégnant de la religion dans la dystopie décrite par la série, cette
religion n’a rien d’identitaire et ne constitue en rien un retour à
un fondamentalisme typiquement américain. Le culte œcuménique mis en scène
dans la série, s’appuie sur une culpabilité de l’être humain qui, du haut de sa
quête de progrès, a fait du mal à la Terre et n’a pas assez respecté le vivant.
Le culte incite à un retour à l’humilité, à ce que l’homme retrouve sa place
dans l’univers et soit en paix avec son rôle biologique. Le culte tient alors à
réparer ce lien entre l’homme et son environnement, en sacralisant et
ritualisant la place du corps de la femme dans la reproduction.
On pourrait y voir un prétexte aux fantasmes masculins de
possession du corps de la femme les plus décomplexés, mais le personnage de
servante défigurée par une énucléation semble confirmer qu’il existe, dans la
condition des servantes, une sincère séparation entre le désir charnel que peut
susciter leur corps et la fonctionnalité de leur utérus. Elles sont d’ailleurs
bien plus exploitées par un couple que par un homme seul. Le corps de la
servante est bien réduit au statut d’objet, mais pas par le désir, plutôt par la honte
qu’une idéologie a insufflée à l’être humain. D’ailleurs où sont toutes ces
publicités qui incitent à voir les femmes comme des objets ? Nulle part.
Dans son idéal écologique, Handmaid’s tale nous montre une société de la
décence et de la pudeur, bien loin de la société de consommation à laquelle on
prête, si souvent, un rôle crucial dans l’asservissement de la femme.
Il m’est apparu que la cause ayant permis l’asservissement
de la femme dans Handmaid’s tale n’était pas simplement celle qu’on m’avait
vendue. Elle tenait de deux urgences. L’urgence de la crise prophétisée par la
droite et qui n’avait échappée à personne. Et l’urgence de la décadence
prophétisée par la gauche, de cette société de consommation devenue folle,
détruisant l’homme et sa planète et qui justifie un retour à des valeurs
essentielles et humaines. Un penseur français a récemment idéalisé le rôle de l’homme
dans son environnement, le rêvant tel « une abeille fertilisant la
terre ». Ce penseur n’a pas été revendiqué par le Front National durant la
dernière présidentielle mais bien par le candidat du Parti Socialiste.
C’est cette ambivalence de la dystopie proposée par
Handmaid’s tale qui m’a ramené à un extrait assez cliché du Deuxième sexe de
Simone De Beauvoir. Cet extrait vous l’avez tous lu au moins une fois :
"N'oubliez
jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les
droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis.
Vous devrez rester vigilantes votre vie durant."
Ce passage
est généralement utilisé pour souligner l’importance de la défense des droits
des femmes. Je trouve que cet usage est réducteur. Ces trois phrases écrites par
Simone De Beauvoir renferment une particularité. Par exemple, je pense que
Bourdieu n’aurait jamais pu écrire cela. De Beauvoir ne met pas en garde contre
une montée de la domination masculine, du capitalisme prédateur, du
totalitarisme rouge, du retour au fondamentalisme religieux etc… Elles rappellent
qu’il suffira simplement « d’une crise », d’une seule et unique
urgence, quelle qu’elle soit. Ainsi le discours féministe de De Beauvoir est
bien plus terrifiant que le discours féministe anti-patriarcal que nous
entendons ces dernières années, en ce sens qu’il ne considère pas que la
condition de la femme est fragilisée par la stratégie d’un ennemi identifié,
mais par un chaos bien plus complexe.
Handmaid’s
tale ne raconte pas la trajectoire d’une idéologie prédatrice qui arrive au
pouvoir pour asservir la femme. Le culte théocratique mis en scène par la série
est d’ailleurs bien trop éloigné de ce que le monde nous propose déjà pour
constituer une dénonciation politique évidente. La série nous raconte
d’avantage comment l’idéalisation de nos sociétés s’accompagne souvent d’une
tendance à renier la question de l’individu et de ses singularités. Je sais que
nous vivons dans une société individualiste et narcissique et patati et patata
mais Handmaid’s tale est une série qui a le mérite de ne pas cacher, dans son
récit pourtant didactique, le bon sentiment qui rêva un jour cette horreur
faite de pendaisons, de viols, de tortures et d’excisions. Après tout dans une
utopie, donne-t-on au gens le choix d’être malheureux ? « Under his
eye », nous rappelle la série.
C’est
aussi pourquoi je suis si étonné que cette série m’ait été vendue par la presse
comme une simple dénonciation d’une « Amérique post Trump qui finalement
vaut pas mieux que le Pakistan qu’il dénonce ». Je ne dis pas que cette
lecture n’a aucun sens, mais la série propose une approche bien plus vaste. Le
genre de l’anticipation et de la politique fiction a toujours eu un certain
cachet, même parmi les plus élitistes des critiques, qui d’habitude fustigent
le fantastique et la science-fiction. Il est vrai que ce genre propose une
lecture complexe et détaillé d’un univers, à l’inverse d’un film comme
l’épisode de Mad Max évoqué lors d’un article précédent. Mais s’il faut se
réjouir d’un traitement complexe, d’où vient cette urgence à en conjurer les
aspérités ? Peut-être qu’il est angoissant de se rappeler avec Handmaid’s
tale que même munis de la plus belle éducation populaire à
base de matérialisme historique, même munis d’une carte de crédit premium et
d’une voiture neuve, nos droits en tant qu’individus ne valent que très peu de
choses en ce monde.
Franchement, ça donne très envie de regarder la série, par delà la curiosité. Cela prouve à quel point la série télévisée ("internetisée" devrait on dire pour être plus juste)est devenue, plus qu'un laboratoire, un territoire de découverte et d'inconnue. C'est un véritable cosmos mais devenu tellement dense, tellement chronophage que, en toute franchise, la probabilité pour que je m'assoie devant mon écran de salon et que je regarde cette série, est très mince.
RépondreSupprimerJe suis toujours coincé dans une course interminable pour finir les séries déjà engagées, sans compter tout les vieux films que je me suis farouchement gardé durant tout ce temps intact (des giallo, des resnais et des cassavettes, des melville toujours pas vu)...
Je me pose souvent cette question ces derniers temps, d'imaginer le futur est les générations à venir face à cette immensité de récit... Quel avenir auront certaines séries. Continueront-elle d'exister... Est-ce que Handmaid's tale sera toujours aussi pertinente dans trente ans?
Finalement, qu'est ce qui rend Handmaid's tale si efficace comme série télévisée qu'elle ne peut pas contenir ou retranscrire comme simple long métrage de cinéma?
Finalement, je relis ton texte et je m'aperçois, sans forcément avoir à regarder la série, qu'elle provoque une réaction, un échange, crée du discours, de la recherche, invite un spectateur comme toi ou moi à écrire sur l'expérience de récit qu'il vient de faire. C'est peut être encore là que réside, plus que dans la recherche absolue du total bingwatching, la raison d'être des séries télé.
La cinéphilie n'est plus le seul privilège du cinéma.