dimanche 3 septembre 2017

Handmaid’s tale – De Beauvoir au bout d’une corde



Une fois n’est pas coutume, nous parlons série. Un série qui d’ailleurs, m’a été racontée avant que je ne la vois. Handmaid’s tale raconte l’histoire d’une femme prisonnière de sa condition de reproductrice dans une dystopie made in USA. Le monde décrit est celui d’une civilisation ayant survécu à une catastrophe écologique, ayant entraîné une épidémie de stérilité chez les femmes. Les Etats-Unis sont alors gouvernés par une junte s’octroyant les rares terres habitables du pays et envoyant ses rebus dans « les colonies », lieux inhospitaliers où l’espérance de vie est très limitée. Parmi les privilégiés à la tête de cet état , les femmes sont divisées en trois castes : les épouses, qui servent de figures stables et autoritaires au foyer ; les marthas, domestiques auxquelles reviennent les tâches ménagères ; enfin les servantes, femmes supposées fertiles, dédiées à la reproduction des élites.

La série m’a été vendue par la presse comme dénonciation de l’Amérique de Trump. Entendez par là une dénonciation de l’Amérique tout court, en ce sens que c’est l’Amérique telle qu’elle est qui a permis Trump. Le série devait dénoncer le retour à la religion, la misogynie de la société américaine, la chosification du corps de la femme par une société de la puissance et de la domination masculine blanche anglo-saxone. Du coup j’ai regardé Handmaid’s tale et je n’y pas trouvé les mêmes choses.

Dans le premier épisode, parmi les opposants politiques pendus, l’héroïne pose son regard sur le cadavre d’un prêtre. La destruction des églises est d’ailleurs un motif récurrent au fil des épisodes, qui participe à nous faire vivre la montée du totalitarisme. Aussi, s’il y a bien un rôle prégnant de la religion dans la dystopie décrite par la série, cette religion n’a rien d’identitaire et ne constitue en rien un retour à un fondamentalisme typiquement américain. Le culte œcuménique mis en scène dans la série, s’appuie sur une culpabilité de l’être humain qui, du haut de sa quête de progrès, a fait du mal à la Terre et n’a pas assez respecté le vivant. Le culte incite à un retour à l’humilité, à ce que l’homme retrouve sa place dans l’univers et soit en paix avec son rôle biologique. Le culte tient alors à réparer ce lien entre l’homme et son environnement, en sacralisant et ritualisant la place du corps de la femme dans la reproduction.

On pourrait y voir un prétexte aux fantasmes masculins de possession du corps de la femme les plus décomplexés, mais le personnage de servante défigurée par une énucléation semble confirmer qu’il existe, dans la condition des servantes, une sincère séparation entre le désir charnel que peut susciter leur corps et la fonctionnalité de leur utérus. Elles sont d’ailleurs bien plus exploitées par un couple que par un homme seul. Le corps de la servante est bien réduit au statut d’objet, mais pas par le désir, plutôt par la honte qu’une idéologie a insufflée à l’être humain. D’ailleurs où sont toutes ces publicités qui incitent à voir les femmes comme des objets ? Nulle part. Dans son idéal écologique, Handmaid’s tale nous montre une société de la décence et de la pudeur, bien loin de la société de consommation à laquelle on prête, si souvent, un rôle crucial dans l’asservissement de la femme.

Il m’est apparu que la cause ayant permis l’asservissement de la femme dans Handmaid’s tale n’était pas simplement celle qu’on m’avait vendue. Elle tenait de deux urgences. L’urgence de la crise prophétisée par la droite et qui n’avait échappée à personne. Et l’urgence de la décadence prophétisée par la gauche, de cette société de consommation devenue folle, détruisant l’homme et sa planète et qui justifie un retour à des valeurs essentielles et humaines. Un penseur français a récemment idéalisé le rôle de l’homme dans son environnement, le rêvant tel « une abeille fertilisant la terre ». Ce penseur n’a pas été revendiqué par le Front National durant la dernière présidentielle mais bien par le candidat du Parti Socialiste.

C’est cette ambivalence de la dystopie proposée par Handmaid’s tale qui m’a ramené à un extrait assez cliché du Deuxième sexe de Simone De Beauvoir. Cet extrait vous l’avez tous lu au moins une fois :

"N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant."

Ce passage est généralement utilisé pour souligner l’importance de la défense des droits des femmes. Je trouve que cet usage est réducteur. Ces trois phrases écrites par Simone De Beauvoir renferment une particularité. Par exemple, je pense que Bourdieu n’aurait jamais pu écrire cela. De Beauvoir ne met pas en garde contre une montée de la domination masculine, du capitalisme prédateur, du totalitarisme rouge, du retour au fondamentalisme religieux etc… Elles rappellent qu’il suffira simplement « d’une crise », d’une seule et unique urgence, quelle qu’elle soit. Ainsi le discours féministe de De Beauvoir est bien plus terrifiant que le discours féministe anti-patriarcal que nous entendons ces dernières années, en ce sens qu’il ne considère pas que la condition de la femme est fragilisée par la stratégie d’un ennemi identifié, mais par un chaos bien plus complexe.



Handmaid’s tale ne raconte pas la trajectoire d’une idéologie prédatrice qui arrive au pouvoir pour asservir la femme. Le culte théocratique mis en scène par la série est d’ailleurs bien trop éloigné de ce que le monde nous propose déjà pour constituer une dénonciation politique évidente. La série nous raconte d’avantage comment l’idéalisation de nos sociétés s’accompagne souvent d’une tendance à renier la question de l’individu et de ses singularités. Je sais que nous vivons dans une société individualiste et narcissique et patati et patata mais Handmaid’s tale est une série qui a le mérite de ne pas cacher, dans son récit pourtant didactique, le bon sentiment qui rêva un jour cette horreur faite de pendaisons, de viols, de tortures et d’excisions. Après tout dans une utopie, donne-t-on au gens le choix d’être malheureux ? « Under his eye », nous rappelle la série.

C’est aussi pourquoi je suis si étonné que cette série m’ait été vendue par la presse comme une simple dénonciation d’une « Amérique post Trump qui finalement vaut pas mieux que le Pakistan qu’il dénonce ». Je ne dis pas que cette lecture n’a aucun sens, mais la série propose une approche bien plus vaste. Le genre de l’anticipation et de la politique fiction a toujours eu un certain cachet, même parmi les plus élitistes des critiques, qui d’habitude fustigent le fantastique et la science-fiction. Il est vrai que ce genre propose une lecture complexe et détaillé d’un univers, à l’inverse d’un film comme l’épisode de Mad Max évoqué lors d’un article précédent. Mais s’il faut se réjouir d’un traitement complexe, d’où vient cette urgence à en conjurer les aspérités ? Peut-être qu’il est angoissant de se rappeler avec Handmaid’s tale que même munis de la plus belle éducation populaire à base de matérialisme historique, même munis d’une carte de crédit premium et d’une voiture neuve, nos droits en tant qu’individus ne valent que très peu de choses en ce monde.



 


1 commentaire:

  1. Franchement, ça donne très envie de regarder la série, par delà la curiosité. Cela prouve à quel point la série télévisée ("internetisée" devrait on dire pour être plus juste)est devenue, plus qu'un laboratoire, un territoire de découverte et d'inconnue. C'est un véritable cosmos mais devenu tellement dense, tellement chronophage que, en toute franchise, la probabilité pour que je m'assoie devant mon écran de salon et que je regarde cette série, est très mince.
    Je suis toujours coincé dans une course interminable pour finir les séries déjà engagées, sans compter tout les vieux films que je me suis farouchement gardé durant tout ce temps intact (des giallo, des resnais et des cassavettes, des melville toujours pas vu)...
    Je me pose souvent cette question ces derniers temps, d'imaginer le futur est les générations à venir face à cette immensité de récit... Quel avenir auront certaines séries. Continueront-elle d'exister... Est-ce que Handmaid's tale sera toujours aussi pertinente dans trente ans?
    Finalement, qu'est ce qui rend Handmaid's tale si efficace comme série télévisée qu'elle ne peut pas contenir ou retranscrire comme simple long métrage de cinéma?
    Finalement, je relis ton texte et je m'aperçois, sans forcément avoir à regarder la série, qu'elle provoque une réaction, un échange, crée du discours, de la recherche, invite un spectateur comme toi ou moi à écrire sur l'expérience de récit qu'il vient de faire. C'est peut être encore là que réside, plus que dans la recherche absolue du total bingwatching, la raison d'être des séries télé.
    La cinéphilie n'est plus le seul privilège du cinéma.

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